Entretien avec Eric Frechon

Avec le temps, Eric Frechon épure ses assiettes. Sa volonté d’aller toujours davantage vers l’essentiel le ramène vers l’essence du produit. Cette évolution est l’expression d’une maturité à laquelle le chef français est parvenu. Un an avant de célébrer ses vingt ans au Bristol, il fait avec le “Pain Vivant” —issu de blés anciens— et en installant un moulin dans les sous-sols du palace, ce pas vers plus de dépouillement, de vérité, d’humilité. Honoré Le Mag s’est entretenu avec le chef étoilé.

Que représente pour vous le pain ?

éric frechon : J’ai un rapport avec le pain qui remonte à mon enfance en Normandie, de mes séjours chez mes grands-parents, de souvenirs des miches de campagne et des belles tartines. Je ne sais pas manger sans pain. Pour moi, c’est une relation fusionnelle. A midi, au restaurant, en cas de coup de feu, si je n’ai pas le temps de me mettre à table, un peu de beurre étalé sur un morceau de bon pain fait mon repas et mon bonheur.

Comment vous est venue l’idée d’utiliser des farines issues de variétés anciennes de blés ?

éric frechon : Le pain dans la grande cuisine française n’a pas encore reçu toute l’attention qu’il méritait. Les solutions élaborées par les uns et les autres, celle que j’ai moi-même adoptée au Bristol, ne me convenaient pas. Pourtant, j’avais développé ma propre solution boulangère avec des petits pains issus d’un dispositif lourd, exigeant qui, même lorsque je suis passé aux farines bio, ne m’a jamais pleinement satisfait. Je me suis alors posé une question : comment entreprendre d’expliquer à ma clientèle la différence entre le pain issu des blés modernes qui n’ont cessé de s’appauvrir, et le pain qui, sur la table, est d’abord et avant tout l’ambassadeur de ce que la nature a de plus riche à nous apporter ? J’ai trouvé la solution en cherchant d’autres blés, des blés dits de “variétés anciennes” ou de“variétés paysannes”. Puis en cherchant ceux qui savent les transformer en farine sans les dénaturer.

Vous avez alors rencontré Roland Feuillas ?

En 2017, j’ai passé quelques jours avec ma famille dans les Corbières. La boulangerie de Roland Feuillas et de sa femme Valérie est située au sommet de Cucugnan, un petit village au nom charmant et fameux depuis qu’Alphonse Daudet l’a immortalisé dans l’un de ses contes. Cet homme a fait le choix de rechercher des variétés anciennes de blés, retrouvées, remises en terre, multipliées, et transformées en farines fraîches 100 % nature. Le village n’a jamais connu autant de visiteurs depuis que le “Pain Vivant”, issu de variétés anciennes comme l’engrain, l’épeautre, l’amidonnier, le poulard, ou le Khorasan est sorti du four. Au final, j’ai passé la plus grande partie de mon séjour avec les boulangers pour observer, questionner, comprendre et goûter. Ce fut le déclic !

Au point de décider d’installer un moulin dans les soussols de votre restaurant du Bristol ?

J’ai fait venir Roland Feuillas au Bristol, il y a un peu plus d’un an. Il a fait connaissance avec ma brigade. Ce fut à son tour d’observer notre travail et d’initier mes équipes. Ensemble, nous avons cherché à apporter les meilleures solutions, à commencer par la question des farines fraîches qui supposent la présence d’un moulin. Vous savez, les blés anciens favorisent l’écoute, développent la sensibilité, exaltent l’humilité. Dans ce nouveau dispositif, les farines sont fraîches, c’est-à-dire qu’elles sont moulues quelques instants avant le pétrissage. Plus tôt les farines sont utilisées, plus elles ont le goût des blés et meilleurs sont les résultats. Cela impliquait donc que l’on installe un moulin dans les sous-sols du Bristol. Un moulin à meule de pierre du Sidobre conçu et spécialement réglé à Cucugnan.

Les équipes du Bristol ont du s’adapter à cette nouvelle manière d’aborder la conception du pain ?

Ce fut une révolution ! Les boulangers sont tenus de s’adapter à une matière vivante. Si cette imprévisibilité des farines peut générer un certain inconfort, elle en appelle en même temps à une forme de réactivité et d’écoute. L’implication de chacun est ici nécessairement plus grande. Avec notre “Pain Vivant”, les pains ne se contentent plus d’accompagner. Leur ambition est d’exalter la cuisine avec des associations suggérées entre les plats et les pains