Benoît Huvet : « Face à la crise, les opportunités se conjuguent au pluriel et c’est là effectivement un facteur d’optimisme »
Nous poursuivons notre grande consultation des acteurs de notre filière qui font face à la crise du Covid-19. Après Patricia Couderc (Boulangerie de la Tour à Paris), Louis-Marie Bellot (Bellot Minoteries), Stéphane Bravais (METRO France), Eric Kayser (Maison Kayser), Matthieu Labbé (FEB), Marie-Odile Fondeur (SIRHA et EUROPAIN), Apollonia Poilâne (Maison Poilâne), Erick Roos (Moulins Soufflet), et Eric Michaud (Puratos France), nous échangeons cette semaine avec Benoît Huvet, Directeur Général Délégué d’Eurogerm, spécialiste des ingrédients et auxiliaires technologiques pour la filière blé-farine-pain qui réalise 115,8 M€ de chiffre d’affaires.
Quelle a été votre première réaction à l’annonce du confinement du pays ?
Je rentrais juste d’un grand voyage dans le sud de l’Inde, pro et perso surtout ; comme vous le savez, nous sommes très internationaux et à l’écoute du monde, de nos clients, de nos filiales, de nos agents. Nous avons beaucoup d’informations de toute part, aussi nous n’avons pas été surpris car de nombreux signaux faibles (et moins faibles) allaient dans ce sens dans les jours précédant l’annonce. Au sein de l’entreprise, nous avions anticipé largement ces annonces et mis en place un grand nombre de mesures de protection, (inspirées du plan H1N1 préparé 11 ans plus tôt, qui était toujours suivi dans notre protocole de gestion de crise, bien avant les obligations légales), afin d’organiser la continuité de l’activité tout en protégeant nos collaborateurs, nos fournisseurs et prestataires (transport) et bien sûr en priorité nos clients.
Comment avez-vous analysé la situation exceptionnelle que nous avons connu pour la filière blé-farine pain ?
Passé le rush des premiers jours qui a vu les rayons de boulangerie se faire dévaliser à l’instar des rayons de pâtes et de papier toilette, plusieurs tendances se sont dessinées. Une segmentation géographique, qui a privilégié le maintien de l’activité en campagne versus les boulangeries de villes, plus touchées, car les citadins ont parfois découverts ou privilégiés les drives. Une segmentation sectorielle, les consommateurs privilégiant l’achat de pain en GMS plutôt que dans leur boulangerie habituelle, l’une des raisons principales étant le regroupement des achats sur un point de vente unique… Globalement et tous secteurs confondus, une baisse du panier d’achat moyen, avec une chute drastique des produits de pâtisserie surtout, de certaines viennoiseries et de certains types de pain aussi. Cette chute s’expliquant en partie par l’arrêt de la RHF, le recentrage de l’offre en magasin et une explosion du fait maison, qui a cependant généré une demande très forte sur la farine en petits conditionnements et les ingrédients de pâtisserie associés (levure notamment). Nos clients meuniers ont pu et su s’adapter et réagir très rapidement pour répondre à la demande et livrer leur farine en petit conditionnement, en maximisant les horaires de production et les outils de travail. Tout cela a entrainé aussi un sentiment de doute, d’incertitude dans l’esprit du consommateur, sur la gestion globale de cette crise, sur sa durée potentielle directe et indirecte (question qui est toujours à l’ordre du jour) allant même jusqu’au produit, du genre : « doit-on protéger son pain ? Le pré emballage n’est-il pas un gage de qualité sanitaire ? »… le consommateur a dû changer de comportement, certains ayant des comportements aléatoires, multipliant les façons d’acheter : du drive, des produits achetés en magasins grands ou petits, du très local avec les ventes en circuit court qui se sont développées, jusqu’aux ventes par correspondance (peu dans notre filière). Mais notre modèle a survécu et les Français ont classé les produits de notre filière dans les éléments indispensables pour passer la crise, ce qui nous a valu à tous de plutôt bien mieux la supporter.
Quelles sont les actions menées par Eurogerm pour accompagner et soutenir ses clients et faire face à la crise liée à la Covid-19 ?
Avant même d’être confiné, bien avant, fin janvier, j’avais réuni un groupe d’action pour intensifier ce que j’appellerai la digitalisation d’Eurogerm. Nous avions Arpèges, 2 à 3 salles de visios opérationnelles et des capacités libres de suite. Nous avons contacté un spécialiste pour nous aider à passer ce cap et être prêts au cas où, l’objectif était de pouvoir travailler, former nos collaborateurs, nos clients n’importe où, n’importe quand et donner vie à cette nouvelle façon de vivre et de travailler. Résultat : nous avons fait nos premières formations en visio en dynamique, quasiment fin mars. Eurogerm investit au quotidien dans la qualité et la sécurité, et cet investissement nous permet de passer avec efficacité et une grande réactivité en mode gestion de crise dès que la situation le nécessite. Les mesures que nous avons mises en place dès le mois de février ont été reprises —comme déjà mentionné— du protocole développé pour la grippe H1N1 en 2009, et adapté au Covid-19. Les deux priorités d’Eurogerm durant cette période : poursuivre l’activité et garantir la sécurité de tous. Elles ont été pilotées au sein de la cellule de crise qui s’est réunie chaque jour pendant trois mois, très majoritairement en visio conférence. En parallèle de nous organiser pour assurer à nos clients des livraisons en temps et en heures, nous avons saisi l’opportunité, au cœur de la crise, de déployer de nouveaux outils et services afin de continuer à accompagner nos clients au plus près de leurs attentes : formations à distance, rendez-vous en visio, envoi de box produits dans différents pays et sur différents thèmes… Nous avons également retravaillé notre offre pour qu’elle réponde aux besoins des consommateurs. Présentée dans notre dernière collection #5 automne-hiver 2020/2021, une sélection de produits « Tentation » pour inspirer nos clients à l’approche des fêtes cohabite avec des « Must » dans un objectif de performance et de réduction des coûts au quotidien, et de produits parfaitement adaptés aux nouveaux besoins de nos clients, comme la conservation de la fraicheur plus longtemps par exemple.
Eurogerm est un acteur international. Quels sont les conséquences de cette crise mondiale sur vos marchés à l’exportation ?
L’impact de la crise se fait sentir sur tous nos marchés, mais avec des disparités liées au secteur d’activités et surtout aux zones géographiques. Nos filiales —ou zones— qui interviennent plus en RHF et pâtisserie-traiteur étant logiquement plus impactées. A l’échelle du Groupe néanmoins, la diversité des territoires et des activités nous permet à ce jour d’amortir les effets de la crise et de présenter une belle résilience… notamment aussi parce que nous avions amorcé un début d’année fort prometteur. Le développement de notre tissu d’agents et de filiales nous a aussi permis d’agir plus vite car tout déplacement nous est toujours interdit… heureusement nous sommes bien représentés.
Dans toute crise d’une telle ampleur, j’aime à voir des facteurs optimistes pour notre secteur. Quels seraient les motifs d’espoirs selon vous ?
Le mot crise porte en lui la réponse, à l’image des deux idéogrammes qui le représentent et signifient danger (Wei) et opportunité (Ji). Le principal danger est bien évidemment la crise économique qui s’amorce et derrière, la crise sociale qui se profile, avec ses incidences en termes de pouvoir d’achat pour les ménages, de guerre des prix et de réduction des coûts au niveau des acteurs de la filière. Notre capacité de reformulation sur-mesure nous permet d’accompagner nos clients avec des solutions optimales. Les opportunités se conjuguent au pluriel et c’est là effectivement un facteur d’optimisme : une prise de conscience générale qui amène à voir les choses sous un autre angle, qu’il s’agisse de faire évoluer et grandir notre entreprise, développer de nouvelles façons de travailler, de vendre, de communiquer, de rester proches même à distance. Le télétravail qui était très marginal chez nous comme ailleurs, est devenu une belle réalité, et a prouvé son efficacité qui permet d’envisager une poursuite partielle pour un certain nombre de personnes. Les services ne sont pas en reste avec une explosion du numérique et du e-commerce. Côté consommateurs, une confirmation des tendances déjà présentes avant la crise, des tendances que nous déclinons depuis plusieurs années déjà : clean label, naturalité, bio, local, CRC®. Côté entreprises, un engagement croissant et nécessaire dans une démarche durable et responsable. Une réflexion en puissance sur la part d’innovation dans notre démarche, le succès relatif de nos lancements de produits nouveaux, l’exploration de nouvelle voie de commercialisation à l’étude… autant de pistes, autant de projets à suivre. Chez Eurogerm, nous avons pris ce virage très tôt, matérialisé en 2011 par notre adhésion au Global Compact et renforcé en 2019 par la nomination d’un responsable RSE avec un objectif clé : ensemble, être « Responsables de notre avenir ». Des voies de développement et d’innovation, des défis en nombre qu’Eurogerm a déjà entrepris de relever. Tout ceci nous a permis également de mesurer le niveau d’engagement de chacun, interne et externe à l’entreprise, notre capacité de réaction à l’imprévu et de valider la résilience et la pérennité à terme de notre modèle d’entreprise… en 2 mots nous voilà rassurés… et cela a de quoi rassurer nos clients et ceux qui croient en nous.
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