#CIBM2023. Du café au snacking, les boulangeries affutent leurs offres pour convaincre de nouveaux convives

La 6e édition de la Convention Internationale de la Boulangerie Moderne, organisée à Paris le 28 novembre dernier, aura montré combien les produits de snacking, viennoiseries et boissons instagrammables se font une place toujours plus importante en boulangerie. De quoi multiplier les moments de consommation pour faire revenir les consommateurs.

Plus de 240 personnes avaient répondu présent pour cette nouvelle édition de la CIBM. Une convention riche et passionnante qui était placée sous le signe de l’échange et de la communion autour de tous les acteurs de la filière réunis pour prendre la température du marché,  réfléchir sur les mutations qui touchent le métier, s’inspirer d’expériences hors frontières et surtout, faire un pont entre toutes les formes de boulangerie . D’ici 2027, le marché de la BVP en Europe devrait s’approcher du niveau d’avant Covid à 30 Mt précisait Anne Frémaux, directrice Bakery du Gira. Elle s’exprimait en effet le 28 novembre dernier dans le cadre de la 6e Convention Internationale de la Boulangerie Moderne (CIBM), organisée à Paris à l’initiative du magazine Honoré Le Mag, et qui a rassemblé près de 230 participants décideurs de la filière boulangerie-pâtisserie. Le pain blanc devrait alors représenter 31 % de la consommation et les pains de types buns, bagel, bretzels… et plats gagner du terrain, respectivement, 5 et 2%. Ceux-ci accompagnent en effet l’essor du snacking et de la street food qui trouvent leur écho jusque chez les artisans. La part du snack salé dans la consommation de BVP devrait progresser de 2 points/an et dépasser le million de tonnes. Ensuite, les pains spéciaux (aux graines, à dimension santé…) constitueraient 58 % du marché. Ce créneau atteindrait même les 80 % dans les pays du nord de l’Europe. Une tendance confirmée par Nicolas Nouchi, du cabinet Strateg’eat, qui a rapporté des vidéos de ses observations de l’offre des boulangeries de Berlin et de Copenhague. Des zooms qui ont été complétés par des escales londoniennes et marocaines. Ce sont d’ailleurs aussi tous ces leviers qui font le succès de la boulangerie égyptienne Ratios, présentée lors de la CIBM par son fondateur, Samer Samir Ibrahim, venu pour l’occasion, à la CIBM. La part de la viennoiserie progresserait à 9 % (3 Mt) en 2027 et la pâtisserie à 11 % (4 Mt). Enfin, parmi les autres moteurs qui devraient driver la consommation en Europe : le développement durable et le local.

Essor des chaînes, bonne résistance des indépendants

En France, le CA en boulangerie progresse de 7 % en 2023, rapporte Michael Ballay, de Food Service Vision. Mais du fait de l’inflation, « 1 consommateur sur 5 a réduit le nombre de produits lors de ses commandes, prenant par exemple juste un sandwich ». Les flux eux-mêmes ont évolué : le recul du télétravail a profité à la restauration d’entreprise. L’hybridation des modèles de points de vente se poursuit toutefois. Et il faut s’en enrichir explique en substance le boulanger-entrepreneur Pascal Rigo, grand témoin de cette 6e édition de la CIBM et qui a connu un parcours incroyable de l’autre côté de l’Atlantique en fondant les enseignes (entre autres), La Boulangerie de San Francisco, Bay Bread, La Boulange, Cortez, Chez Nous ou encore Gallette. De la production de pain au levain pour la restauration à San Francisco au lancement d’une boulangerie au sein d’un supermarché en France, son parcours est riche d’expériences. Son combat aujourd’hui est d’aider la filière à appréhender les nouveaux défis qui se dressent devant elle, imaginer de nouveaux leviers et créer des ponts entre tous les acteurs de l’écosystème boulanger.

Les chaines de boulangerie renforcent leurs positions en France (+320 points de vente, à 2191). Si les défaillances des indépendants progressent de 16 % sur le 3e trimestre de 2023/2022, les installations sont plus nombreuses se réjouit Dominique Anract, président de la CNBPF2. Certains artisans en fin de carrière arrêtent en raison de la hausse des coûts (+10,2% au 3e trimestre sur les frais généraux et +33,9% sur l’énergie). Outre la progression du prix de la baguette, à un plus « juste niveau », estime Dominique Anract, les boulangers ont retravaillé leurs gammes, affiné leur gestion des coûts,… La levure à action retardée, qui permet de s’affranchir des étapes au froid donc de limiter la consommation d’énergie, constitue une solution complémentaire, a mis en avant Stéphane Lacroix, président de la CSFL3.

Les ressources humaines à travailler

Autre difficulté du secteur : la pénurie de personnel. Elle conduit certains boulangers à réduire leurs amplitudes d’ouverture, ce qui affecte le CA. La Feb4 travaille l’hypothèse de la semaine de 4 jours, explique son délégué général, Paul Boivin. Le boulanger a de plus en plus de casquette à assumer, pointe le Mof Gaëtan Paris, qui assure une activité de conseils sur place pour plus d’efficacité. L’artisan doit aussi être bon commerçant, gestionnaire ou encore manager, confirme Claire Madoré des Grands Moulins de Paris. Cela se joue dès la phase de recherche de candidats puis dans l’accompagnement des employés dans l’entreprise, détaille Géraldine Porcher. Avec sa structure, Mets Conseils, elle fait monter en expertise les vendeuses en boulangerie et forme aussi les employeurs pour impliquer et fidéliser les équipes.

Des viennoiseries à customiser

« Dans un contexte plus compliqué, on doit proposer d’autres choses et multiplier les moments de consommation », résume Michaël Ballay. Aux Etats-Unis où les Fast casual et le quick service s’avèrent très dynamiques, tous les instants de consommation sont exploités, le Late night monte en puissance, rapporte Lionel Ladouceur, du groupe Le Duff, tout droit venu de Dallas pour témoigner et expliquer le marché américain.

Côté produits, le marché de la viennoiserie des croissants et pains au chocolat, achetés à 82 % en boulangerie, se réinventent sous forme ultra-feuilletée et plus moderne, détaillent Marine Bouric et Blandine Daugenet de Bridor. Des pièces inspirées de grands chefs pâtissiers, ce qui participe à leur médiatisation. Cette offre, premium, se développe chez les artisans. Elles sont facilement personnalisables, en variant les topping et fourrages. Cela permet de créer des produits signatures instagrammables. Bien loin des considérations de la mise au point des pains de l’extrême, destinés à des voyages spatiaux, des expéditions dans le grand Nord ou aux troupes militaires, présentées par Etienne Maillard de Lesaffre, à l’occasion de cette journée.

Autre promesse de buzz : les maxi-formats ou les viennoiseries à partager esthétiques composées d’une association de plusieurs unités. Les représentantes de Bridor soulignent aussi l’émergence de « Les viennoiseries issues de la culture boulangère du monde », séduisant les 18-34 ans : les Danish aux fruits, eux aussi customisables et au potentiel visuel attractif, et les roulés à la cannelle désormais proposés tout au long de l’année. Les donuts réservent aussi de nombreuses possibilités de différenciation. « Faciles à mettre en œuvre, ils génèrent du trafic », confirme Sonia Le Rest directrice Marketing de Vandermoortle Bakery. Face à ces tendances, « nous poussons des solutions plus que des produits pour guider la personnalisation » et aiguiller sur les moments où les proposer, par exemple. Sans surprise, la viennoiserie surgelée marque d’ailleurs une forte progression (+9.1 % sur un an selon Food Service Vision).

Des boissons à multiplier pour plus d’attractivité

Le snacking en boulangerie continue de se transformer en petite restauration et pèse de plus en plus dans l’activité. Mickael Benichou a mis en place une gamme de snacking faite maison dans sa boulangerie Liberté dans un second temps. Ce segment s’est vite développé et représente désormais près de 20 % de son CA. Sa nouvelle étape, le lancement du Liberté Caffé, également dans la tendance. Les boissons représentent déjà 15% des achats en boulangerie, mais peuvent se développer. Les Millennials ne prennent plus le café au bar, explique Jean-Christophe Albaret représentant de la maison Cafés Richard. Le fournisseur propose différents types d’extractions et préparations à adapter aux besoins du boulanger. Cela peut être l’occasion d’« intégrer des compétences nouvelles », comme la préparation de belles mousses de lait. Une expertise que Mélina Jacopin met au service de sa boulangerie à la clientèle lycéenne, Painpante, lancée avec sa mère Jacqueline du côté de Brest et où elle s’est inspirée de son expérience londonienne en coffee shop pour développer sa gamme de boissons gourmandes. Celles-ci lui valent de nombreux posts sur Instagram. Le café + viennoiserie ou pâtisserie « représente 50% de notre CA ». La French Bakery, celle qui s’exporte, et les nouvelles tendances des boulangeries à succès en France, aux gammes inspirées du reste du monde ou encore proposant des boissons attractives, constitueront les deux axes forts du salon Sirha Europain 2024. Il réunira 300 exposants du 21 au 24 janvier à Paris, a rappelé son directeur, Luc Dubanchet.

La digitalisation est en marche

Les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important pour le secteur, pour mettre en avant les produits et les lieux de consommation. « Cela ne fait pas tout » mais peut drainer une clientèle plus large, témoigne Mélina Jacopin. Elle est ainsi, par exemple, parvenue à attirer des consommateurs le weekend pour son brunch par sa communication en ligne. La digitalisation s’illustre aussi par l’offre de livraison des boulangeries chainées à 17 % (88 % pour la restauration chainée). On peut s’attendre à une évolution du parcours client en boutique, prédit Michael Ballay. Mais attention à ne pas couper le lien avec le client, met en garde Dominique Anract. Malgré son image traditionnelle le secteur adhère aux solutions numériques. Pour leurs approvisionnements, 40 % des boulangers passeraient commande en ligne, souvent en horaire décalés, assure Claire Madoré directrice marketing de GMP qui ont lancé une Market place.

Viser un développement durable

Les enjeux de durabilité sont centraux pour le secteur. Dès 2025, la Loi Agec prévoit la fin des emballages à usage unique. « C’est un enjeu majeur, nous travaillons à une feuille de route », indique Paul Boivin, insistant sur l’importance d’avancer de manière collective. Par ailleurs, les filières, artisanales comme industrielles, s’investissent dans la décarbonation, depuis la production agricole première source d’émission.

« Afin de maintenir une activité agricole dans le contexte de réchauffement climatique, nous développons d’autres farines en écrasant du blé dur, mais aussi des pois chiches et des haricots », explique Antoine Bernabé directeur exécutif d’Arterris Meunerie, groupe coopératif du sud de la France. « Pourquoi un wrap ne pourrait-il pas aussi apporter des fibres et des protéines ? » interroge-t-il. Un moyen aussi pour les boulangers de se différencier. Cela suppose de l’impliquer davantage dans les filières. Une logique défendue aussi par Terrena avec sa démarche Nouvelle agriculture, représentée par Charles L’Hegouac’h. Pour communiquer, l’artisan a besoin d’informations que ses fournisseurs doivent lui apporter. Julien Cantenot, fondateur de L’atelier P1, s’est lui investi en s’approvisionnant auprès de 6 meuniers pour avoir la farine qui lui convient pour chaque application. La boulangerie Tranché a quant à elle levé des fonds auprès d’investisseurs sensibles à son engagement sur les circuits courts et la RSE. Autre exemple de démarche RSE, celui de Bellevue Ingrédients – Panzani qui propose au secteur des ingrédients à base de blé dur. L’acteur transforme à proximité des lieux de production, sécurise la rémunération des agriculteurs, garantit un stockage sans résidus de pesticides et vise le zéro résidu dans les champs d’ici 2025, explique Eléonore Kerr, responsable Marketing. De quoi répondre aux attentes sociétales.

 

  • : Convention internationale de la boulangerie moderne
  • : Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française
  • : Chambre syndicale française de la Levure
  • : Fédération des entreprises de boulangerie