CIBM 2025 : la boulangerie-pâtisserie fait face à ses défis

Nouveau succès pour la 8e édition de la Convention Internationale de la Boulangerie Moderne (CIBM), brillament animée par Paul Fédèle, Jonathan Douay (France Snacking) et Laurent Estèbe (Honoré le Mag-Boulangerie-Bakery.com) et qui a rassemblé à Paris plus de 230 professionnels du secteur le 2 décembre dernier. Un moment privilégié pour montrer une filière qui fait face à ses défis, se réorganise et invente de nouveaux chemins, malgré une conjoncture plutôt défavorable : inflation, concurrence exacerbée sur le déjeuner, transformations des usages, montée du coffee-bakery, tensions sur le recrutement et la formation, pressions réglementaires… Mais le message de cette journée dense et constructive a montré que le secteur fait plus que de la résistance. « Le marché français reste en croissance de + 2 % à fin septembre 2025 », indiquait Michael Ballay, Directeur de Food Service Vision, invité à intervenir lors de la 8e édition, organisée par notre magazine Honoré le Mag. Une situation qui doit beaucoup à l’activité snacking qui continue sur sa bonne lancée.

Une fréquentation qui reste solide

Les données partagées par le Gira confirment ce repositionnement sur le snacking. Le pain frais reste central (81 % de l’offre BVP) mais le rythme de consommation évolue. A l’échelle européenne, elle était en recul sur la période 2003-2023 (- 0,4 % par an en moyenne) même si une reprise de 0,2 % par an est attendue d’ici 2028. La viennoiserie (8 % des ventes à +1,3 %/an en moyenne en 20 ans et des perspectives annuelles à + 0,9 %), la pâtisserie (8 %/+0,7 %/0,6 %) et surtout les snacks salés (3 %/1,8 %/2,7 %) progressent, souligne Ségolène Foissac, Bakery Senior Consultant au sein du cabinet. En France, en boulangerie, « on va largement dépasser le tiers du chiffre d’affaires dédié à l’univers du snacking salé », estime Nicolas Nouchi de Strateg’eat. Rien d’étonnant à voir ainsi le salon sectoriel Europain être rebaptisé Sirha Bake & Snack pour sa prochaine édition qui se tiendra à Paris, du 18 au 21 janvier 2026. Cette photographie économique a par ailleurs été complétée par Lauriane Milési de Fiducial. Selon elle, le prix de la baguette atteindrait 1,10 € en moyenne et une sur quatre dépasse ce seuil. Malgré cela, « les clients sont toujours là », souligne-t-elle et la fréquentation reste solide, autour de 313 clients par jour. Le panier moyen progresse à 6,33 €, avec près d’un tiers des achats au-delà de 7 €. Ainsi, face à la hausse des charges, « le métier a su montrer une certaine stabilité » et s’adapter avec une adaptation progressive « des prix au plus juste ».

Concurrence exacerbée sur le segment du midi

Dans ce contexte bousculé, les chaînes de boulangeries poursuivent leur progression avec un parc de magasins en réseau qui devrait atteindre les 2 900 unités en 2025 selon Food Service Vision, soit + 110 par rapport à 2024. Elles s’imposent par leur lisibilité, leurs amplitudes horaires et leur maîtrise du bake-off. Cette pratique gagne d’ailleurs du terrain. Elle représente plus de 50 % des approvisionnements en GMS et de 40 % dans les chaînes de boulangerie, selon Gira. En réaction, les artisans remettent en avant la cuisson visible. « Montrer la fabrication » redevient un argument commercial puissant. Le segment du midi perd cependant des parts de marché en boulangerie, au profit des magasins de proximité, dont les rayons snacking affichent des croissances à plus de 15 % dans certains centres urbains, poursuit Michael Ballay. Pour tenir, les boulangeries s’hybrident, se spécialisent, se déplacent. Chez Augustin & Mariette (groupe BC-CAP),son fondateur, Boris Calle, assume une stratégie multiforme : implantation sur les campus, logistique internalisée, formats variés, adaptation fine aux territoires. « Toutes les zones de flux sont intéressantes : le travel, les stades, les lieux de loisirs ». D’autres enseignes (La Panetière représentée par Solenn Douard, Léonie Bakery avec Judith Tricon Russo, l’Italien New Pan de Claudio Affinati ou encore Chez Lucien de Christophe Passédat) confirment la diversification en cours : gammes courtes mais lisibles, intégration du chaud en snacking, formats “grab & go”, travail accru sur les boissons, identité visuelle affirmée… Le café est aussi devenu un pivot du développement, voire une véritable stratégie. « Festif et socialisant », il s’impose comme un prolongement du fournil. Le segment coffee-bakery figure, en effet, parmi les plus dynamiques de la restauration commerciale, porté par les consommations du matin et de l’après-midi. Une clé ? Etoffer la carte des boissons, chaudes ou froides, préparées sur place a rappelé Cécile Crès-Brun de Cafés Richard.

Un speedating de formats pour des lieux qui se réinventent

Si les usages évoluent, les lieux se réinventent en miroir. La Boulangerie du Louvre a ainsi présenté un modèle hors norme : production en sous-sol, contraintes muséales, gestion des flux touristiques, fournil derrière une baie vitrée avec « un dimensionnement unique en France » pour un lieu où le pain incarne le symbole culturel, comme l’a expliqué son directeur d’exploitation Arnaud Chevalier. À Montmartre, le Bistrot Baguette de Sylvain Coulon-Gavalda mise sur la scénarisation au vrai sens du terme : une pièce de théâtre retraçant l’histoire de la boulangerie-pâtisserie a marqué l’inauguration, renforçant l’attrait auprès des visiteurs internationaux. Autre proposition marquante : le Bar à Croissants de Louis Tortochot (Du Pain pour Demain), pensé comme un espace d’expérience et de personnalisation. Garnitures, jeu visuel… le croissant réinventé y devient alors un produit signature ! La CIBM 2025, nous a présenté ces nouveaux concepts originaux lors d’un « speedating boulanger”, un moment que beaucoup ont appréciés pour son dynamisme qui prouve que le secteur regorge d’idées et de vitalité.

Valoriser la nutrition-santé

En parralèle de ces initiatives marquantes, le sujet nutrition s’impose à la filière. Pourtant, Sandrine Cuisenier et Léa Ribet de chez Lesaffre ont ainsi mis en lumière le décalage qui peut exister entre perceptions et réalité scientifique quant à la consommation de pain : crainte infondée du gluten, confusion et méconnaissance levain/fermentation, rôle sous-estimé des fibres. Pascal Perriot (Ça passe Crème) a pour sa part présenté un travail centré sur les “yolders”, les 55–75 ans. Une génération trop souvent délaissée alors même « qu’un yolder possède trois fois plus de patrimoine qu’un millennial ». Et de lancer, en souriant : « pour cette génération, entrer dans une boulangerie, c’est Halloween », tant les offres sucrées dominent alors qu’eux font parfois face à des alertes de santé. De son côté Claudio Affinati, dont l’équipe en Italie développe un pain pensé pour le microbiote et non soumis à la contrainte logistique du pain frais classique, a insisté : « un produit rééquilibré doit rester bon, sinon le changement n’est pas durable ! »

Trop de réglementation tue la réglementation…

Il reste que l’environnement réglementaire mouvant aura occupé une place centrale lors de cette 8e CIBM, alors que la possibilité d’une taxe sur le sucre demeure dans les esprits de certains parlementaires. Paul Boivin, Délégué Général de la Fédération des Entrepreneurs de Boulangerie-Pâtisserie (FEB), en appelle plutôt à un engagement formalisé du secteur pour réduire progressivement le sucre dans les recettes. Un travail qui nécessite aussi de déshabituer le palais des consommateurs. Dominique Anract, Président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF) a d’ailleurs souligné que la réduction du sel dans le pain a surtout été obtenue par la formation des jeunes professionnels et a donc pris du temps… Sur les matières premières, la hausse du beurre importé interroge la souveraineté des filières françaises. Chez Vandemoortele, Ophélie Caron, du pôle PBFS (corps gras) rappelle : « nous devons garantir une texture stable, un goût constant et une performance irréprochable, malgré les variations de marché. »

Filières, souveraineté, transmission : le cœur du métier

Ainsi, trois acteurs clés ont éclairé la manière dont la filière s’organise face aux défis actuels. Christophe Passédat, fondateur de l’enseigne de boulangerie Chez Lucien, a rappelé fermement son positionnement : « Le paysan, le meunier, le boulanger : ce sont trois métiers. Ceux qui écrasent eux-même leur blé oublient l’étape de la meunerie. C’est un vrai savoir-faire qui ne s’improvise pas ». Attaché à la transparence, il fait découvrir chaque année la nouvelle récolte à ses clients pour reconnecter la consommation au vivant. Le produit est, chaque année, différent et le consommateur apprécierait beaucoup ce moment. Il a également conçu un laboratoire « sur-isolé » visant à améliorer les conditions de travail tout en réduisant l’impact énergétique, auquel il a ajouté une boulangerie pédagogique, la première en France. De son côté, Louis-Marie Bellot, héritier de seize générations de meuniers, a réaffirmé la mission qui guide ses choix : « nourrir l’avenir sainement et durablement », avec 40 % de volumes issus de filières vertueuses. Quant à La Panière, l’enseigne dirigée par Pascal Cantenot est devenue entreprise à mission en 2022. Elle illustre l’engagement d’un réseau dans la durée, conjuguant structuration des filières, travail avec les producteurs et montée en compétences des équipes. Autre sujet sensible : les RH alors qu’ « un artisan sur deux cite le recrutement comme une préoccupation« , rappelle Ségolène Foissac, évoquant les 26 000 postes à pourvoir dans la filière. Pour renforcer l’attractivité, boulangers et meuniers mènent des actions communes, notamment via l’initiative Chasseurs de graines, comme l’a rappelé Anne-Céline Contamine, Secrétaire Générale de l’ANMF. Eugénie Girardeau, Directrice Adjointe des Moulins Associés, insiste sur l’importance d’un engagement collectif. « On doit accompagner les boulangers dans leurs compétences et répondre aux nouveaux challenges du métier ». La question du management reste ainsi centrale. Domitille Flichy, fondatrice des Boulangeries Farinez’Vous, fortement engagée dans l’insertion et l’inclusivité, évoque cet enjeu de qualité de vie au travail qui est fondamental. « L’ambiance compte énormément ». Et pour les jeunes générations si cela ne leur convient pas, « ils le disent et s’en vont ».

Le cerveau et l’achat de pain : quand les biais s’invitent dans le métier

Face à ces nombreux enjeux concrets et d’actualité, certaines interventions de cette 8e CIBM permettaient également de prendre de la hauteur comme celle d’Étienne Maillard de chez Lesaffre, apportant un éclairage édifiant sur les biais cognitifs. « Nous recevons onze millions de bits d’information par seconde… et on en traite cinquante« , expliquait-il. Prix barrés, effet de contraste, exposition répétée… Autant de mécanismes qui orientent la décision d’achat, souvent à l’insu du consommateur, et qu’il faut bien avoir à l’esprit. En matière d’influence, comment ne pas évoquer les réseaux sociaux évidemment, souvent cités par les intervenants ? Pour donner de la visibilité à un concept, valoriser un produit, dynamiser un lieu, Instagram et TikTok sont ainsi devenus indispensables afin de capter l’attention, créer du flux et renforcer une identité. Et ce n’est en rien le seul apanage des réseaux alors que certains jeunes artisans cumulent aujourd’hui des millions de vues. Ainsi, comme l’observe l’expert Frédéric Loeb (Loeb Innovation), « la boulangerie moderne est bien une boulangerie hybride, une boulangerie qui innove, qui est plurielle, qui sait s’adapter, rebondir et faire face à ses défis » ! Une belle touche d’optimisme à remporter avec soi dans les fournils…

Marianne Roumégoux & Lucile Legaignoux