CIBM 2019 : Quand le bakery business fait sa R-évolution !

Pour continuer à séduire un consommateur devenu consom’acteur, plus exigeant, mieux informé et en quête de transparence et d’authenticité, c’est toute la filière pain qui s’organise. La Convention Internationale de la Boulangerie Moderne (CIBM) avait réuni le 19 novembre dernier tous les acteurs du bakery business afin d’identifier ses nouveaux enjeux et ses défis. Voici ce qu’il fallait en retenir.

La 3e édition de la CIBM (Convention Internationale de la Boulangerie Moderne), organisée par le magazine Honoré Le Mag s’est tenue le 19 novembre aux Pavillons des Étangs à Paris, et a rassemblé plus de 270 acteurs de la filière pain pour répondre aux problématiques d’un secteur en pleine mutation sur tous les circuits de consommation, en France comme à l’international. Si la boulangerie artisanale reste le lieu d’achat privilégié et le plus rassurant des Français, la révolution du pain est en marche, poussée par la défiance des consommateurs vis-à-vis de leur alimentation : une situation qui impose à toute la filière de développer de nouveaux arguments pour les (re)conquérir. Le secteur que l’on croyait mature est ainsi en train de réaliser sa métamorphose. Voyons comment :

L’enjeu de la proximité affole tous les circuits de distribution du pain

En préambule de la CIBM, Anne Fremaux, directrice Bakery au sein du GIRA, a ainsi rappelé que la consommation de pain n’avait jamais été aussi faible en France et en Europe, avec des perspectives à la baisse encore sur les 4 prochaines années… « Un défi pour le boulanger artisanal qui pourrait être le grand perdant de la transition qui s’opère et qui devra réussir son adaptation pour rivaliser avec les nombreux circuits de consommation avec lesquels il se trouve en compétition. ».

Ainsi, en Italie, la consommation de pain accuse un recul très spectaculaire sur ces dernières années, de l’ordre de – 40 % selon Michele Antonio Fino, directeur du « Food Culture Master » de l’université des sciences gastronomiques de Palenzo. Celui-ci est venu témoigner de ses actions afin de (re)valoriser les valeurs fondamentales de cet aliment patrimonial : la panification et la fermentation naturelle, la mise en avant des producteurs locaux et la revalorisation de toute la filière « pain ». Il a d’ailleurs partagé sa collaboration avec Autogrill et les recettes exclusives qu’il a mises au point pour le concept Bistrot présent en France et à l’international. Afin de construire une offre de proximité et enrichir l’expérience du consommateur, la boulangerie, intégrée et ouverte, propose, en plus du pain et des sandwichs, des pâtes fraîches maison et des pizzas au sein d’un même lieu où il fait bon vivre même en zone de grands flux… Du côté de la grande distribution, le groupe Carrefour, après la pâtisserie, s’est activement mis à la boulangerie depuis 2012 en fabriquant le pain depuis ses propres terminaux de cuisson en suivant les mêmes procédés que la boulangerie artisanale.

CIBM 2019
Convention Internationale de la Boulangerie Moderne © CIBM

Il mise aussi sur une expérience immersive pour le consommateur en cassant les codes de la distribution où la boulangerie et la restauration occupent désormais une place de choix. Et les ambitions sont réelles… Cette mise en avant de la restauration de proximité est d’ailleurs visible avec l’apparition de la « Fresh Avenue » à Flins, en Yvelines, ou de Next à Dijon, où une halle du marché gourmande, est disposée dès l’entrée dans les magasins, en lieu et place des espaces de promotions. Venue témoigner à la CIBM, Adeline Bodemer, directrice du marché BVP, a tenu à rappeler les engagements du groupe Carrefour fidèle à sa philosophie « Act for food » : « Pour rétablir le contrat de confiance avec le consommateur, le groupe s’est engagé pour 3 années supplémentaires avec les filières et les coopératives bio à respecter les volumes et le niveau de transparence du prix pour le consommateur dans une relation gagnant-gagnant ». Le groupe a été précurseur en matière d’approvisionnement issu de l’agriculture biologique et pèse aujourd’hui 40 % de part de marché de la boulangerie bio en GMS à lui seul en France. Sur un marché challengé par les réseaux boulangers, Carrefour affirme aujourd’hui son antériorité et ses différences

L’émergence des réseaux boulangers porte la croissance du secteur en Europe

Le secteur, en pleine évolution, reste fortement éprouvé par la montée en puissance des enseignes de boulangeries. Ces dernières connaissent des progressions fulgurantes depuis plusieurs décennies. Dans leur sillage, la grande distribution et la proxi, les professionnels du voyage et les zones de flux des centres commerciaux, mais aussi les acteurs de la rapide ont également su prendre part au festin et profiter de l’aubaine ! « Avec 36 % de parts de marché, la GMS, en tête de la distribution du pain frais, n’est plus le principal moteur de la croissance. » ponctue à l’issue de sa présentation Anne Fremaux, directrice Bakery au sein du GIRA. Ces chaînes se développent en misant sur l’image et le savoir-faire des boulangeries artisanales : pains fabriqués ou cuits sur place, largeur d’offre et recettes renouvelées régulièrement, des prix plus attractifs, et, aussi, une communication active boostée par les équipes marketing et communication depuis leurs sièges sociaux. Elles ont adopté en partie le modèle qui a fait le succès des GSA : implantation sur des zones commerciales à fort trafic et offres personnalisées (choisir la cuisson de son pain) et promotionnelles permanentes (« 3 produits achetés, le 4e offert », offres pour les enfants le mercredi, vente du pain de la veille à moindre prix…). Enfin, face à l’engouement des Européens pour le snacking, elles ont développé une large offre sur ce segment (sandwichs, quiches, pizzas, salades…) et disposent de places assises dans la plupart de leurs points de vente. « La montée en puissance des enseignes de boulangeries en périphérie concurrence directement les boulangeries indépendantes installées en centre-ville, dont le nombre tend à diminuer encore pour les prochaines années », explique Claire Demer, directrice des études qualitatives chez Food Service Vision en préambule de la table ronde « la boulangerie artisanale, à l’heure des choix ? ». Une vision qui trouve également son écho au U.K. où le pain produit par les artisans et les chaînes boulangères, Gregg’s en tête, avec près de 2 000 magasins répartis sur le territoire, et leader en offre « healthy », progresse de manière significative avec plus de 4 % de croissance. Là-aussi, la forte demande en « craftbread » et en viennoiseries transforme le marché habitué au pain blanc tranché, confirme Stéphanie Brillouet, directrice marketing de Délifrance en charge de l’Europe du nord. 

La boulangerie artisanale fait de la résistance et cultive sa singularité

Dans ce contexte, le boulanger artisanal et indépendant, n’a pas d’autre choix que de se différencier et de se transformer lui aussi en restaurateur et entrepreneur. A la condition, cependant, de développer de nouveaux services et compétences à proposer à sa clientèle… et de continuer à cultiver sa singularité : la proximité ! Pour résister aux attaques d’une concurrence acérée, la boulangerie n’a pas d’autre choix que de se former. « Être boulanger, aujourd’hui, demande de nombreuses compétences, et toutes les générations ne sont pas préparées aux réalités du commerce, à ses techniques et aux dures réalités économiques de l’entreprise. » entonne Franck Pichard, responsable de l’Ecole de Boulangerie Artisanale. Officiellement inaugurée en septembre à Lamotte-Beuvron (41), l’école de formation accompagne les 2000 membres du réseau Festival des Pains et s’ouvre aujourd’hui aux artisans indépendants afin de les aider à s’adapter aux orientations stratégiques du métier… Et quand on évoque de nouvelles orientations, la boulangerie séduit aussi les zones de flux comme les gares et les aéroports mais aussi les centres commerciaux. La découverte de la territorialité et de l’empreinte locale, c’est aussi une réponse que la boulangerie peut apporter au voyageur en quête d’expériences permanentes.

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Convention Internationale de la Boulangerie Moderne © CIBM

Dans cette optique, Ty Vorn, ce concept de boulangerie implanté depuis un an en gare de Rennes, a pour objectif de surprendre le voyageur d’où qu’il vienne à la porte de la Bretagne. Les pains traditionnels, confectionnés à partir de la farine de blé noir, les galettes au sarrazin, et évidemment le kouign amann contribuent à projeter le voyageur dans cette nouvelle culture culinaire, bien au-delà des enseignes traditionnelles. Il existe ainsi encore de nombreux territoires d’expression sur lesquels la boulangerie traditionnelle peut encore s’exprimer (Découvrez ces boulangers progressistes qui ont misé sur la restauration dans notre article dédié sur snacking.fr). Et la restauration boulangère, qui a largement été évoquée lors de la CIBM, en est le premier exemple ! Le secteur de la boulangerie doit en effet intégrer cette nouvelle logique en constituant des offres pertinentes et adaptées aux multiples moments de consommation. « Si l’offre déjeuner reste l’offre centrale, il reste de nombreux progrès à faire sur les formules à proposer pour le petit déjeuner, le goûter et surtout le dîner, alors que les consommateurs attendent de nombreuses solutions sur cet instant précis de consommation » , analyse Géraldine Amsellem, Business Unit & Production Director EMEA au sein du Cabinet CHD Expert.

A lire : Les boulangers, ces nouveaux restaurateurs modernes prêts à ne pas en laisser une miette !

A l’international, les bakery-coffees cultivent l’art de vivre ensemble autour du pain

La CIBM, qui se veut une plateforme internationale d’échanges et de partages avait également convié à s’exprimer des entrepreneurs du pain. Le médiatique Gontran Cherrier, fort de ses 60 boulangeries-restaurants en franchise et parti à la conquête de tous les continents, était de ceux-là. Très présent en Asie et en Australie, il multiplie en 2020 les ouvertures à San Francisco et au Chili… « La clientèle étrangère ne rentre pas dans une boulangerie pour acheter du pain, ce dernier ne faisant pas partie de son alimentation de base. Elle vient passer un moment dans un point de restauration particulier où le pain est l’élément fondamental de l’offre, et partager un moment dans un endroit dépaysant avec amis et familles. »

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Convention Internationale de la Boulangerie Moderne © CIBM

Marie-Pierre Membrives, du cabinet Tastebuds, avait notamment invité deux boulangers installés en Israël et au Maroc, où là aussi, le pain fait recette. Uri Scheft (à gauche), fondateur de Lehamim et à la tête de 6 boulangeries à Tel Aviv, s’est ainsi appuyé sur les compétences d’Eric Kayser pour développer une bakery coffee à forte valeur ajoutée grâce au savoir-faire artisanal français. Ouverte 7/7 et allant jusqu’à servir 4 000 personnes/jour, elle développe aujourd’hui 300 produits boulangers en se singularisant avec une offre petit-déjeuner disponible à toute heure, un must dans la culture Israélienne. Pour Thierry Bromet (à droite), directeur technique et R&D de la boulangerie-pâtisserie Amoud, installée à Casablanca depuis 1982 : « le pain fait partie de l’aliment de base du Marocain et à 0,10 cts d’euros la baguette, il n’y a pas d’autre choix que de développer d’autres offres pour assurer la survie de l’entreprise. ». C’est dans la viennoiserie, la pâtisserie et dans les pains spéciaux que l’entreprise trouve sa rentabilité en cultivant cet « art d’être ensemble » que les marocains affectionnent tout particulièrement.

Les process de fabrication ne font que progresser

Face à une plus grande polyvalence du métier de boulanger et pour affronter la concurrence, les fabricants de terminaux de cuisson suivent la tendance en tentant d’offrir de nouvelles solutions aux professionnels. Du pétrissage à la cuisson sur le point de vente, le boulanger moderne investit désormais dans un laboratoire central afin de développer son entreprise. Et garantir ainsi une meilleure régularité dans ses produits tout en fidélisant son personnel grâce à une production différée. « C’est aussi un bon moyen de laisser plus de place à la multiplication de ses offres et d’optimiser l’espace disponible en magasin avec des loyers souvent plus élevés que pour un laboratoire situé en périphérie d’une agglomération. » souligne Yannick Gérard PDG de Mérand. Dans le même esprit, Rademeker a lancé sa « Rademaker Academy » afin de satisfaire au transfert des compétences. L’entreprise n’a pas hésité à faire appel à la réalité virtuelle afin de familiariser les opérateurs aux nombreuses fonctionnalités de l’équipement de plus en plus sophistiqué.  « Grâce au digital, la technologie va nous aider à booster les résultats et à obtenir le fameux ROI tant recherché. » précise, confiant, Patrick Dauwe Directeur Général de Rademeker.

La filière mise sur la transparence et le plaisir pour regagner la confiance des consommateurs

Sans additif, sans conservateur, sans pesticides, bio, local… Nombreux sont les consommateurs, qui, en cette période de transition alimentaire, sont perdus face à cette émergence d’allégations aux vertus toutes différentes.

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Convention Internationale de la Boulangerie Moderne © CIBM

« La communication du « sans » est restrictive et la perception du consommateur est donc très mauvaise. Il faut rétablir le plaisir et le bien-être dans la consommation du pain ! » a tenu à rappeler Gaëtan Jegoux, directeur des Baking Center de Lesaffre. L’aliment nutrition, et même l’aliment santé s’installe dans notre alimentation et c’est toute la filière qui se mobilise afin de donner aux professionnels de véritables preuves tangibles aux consommateurs sur la provenance et l’innocuité du produit. C’est le choix opéré par Bridor depuis plusieurs années, représentée par Jérôme Pitiot, son directeur marketing, qui, avec l’Amibiote (Snacking d’Or 2019), signe la première baguette aux effets bénéfiques sur le microbiote et le cholestérol du marché. Elle est disponible depuis le 7 octobre chez Monoprix avant de l’étendre à la RHD.

Justement, impliquer le consommateur dans le processus de fabrication des produits, c’est une réalité accomplie par Louis-Marie Bellot, président de Bellot Minoteries. En mars dernier, il a lancé la 1e farine pensée et réalisée par et pour les consommateurs avec C’est qui le Patron ?! Elle est disponible dans les réseaux Intermarché et Leclerc, en attendant son déploiement à d’autres enseignes. Jean-Christophe Chassaigne, devenu agriculteur et président de l’Alliance BIO, milite lui depuis plusieurs années pour une « agriculture éclairée » en proposant des farines issues de sa production où il diversifie la culture des sols en intégrant aussi des légumineuses (haricots rouges, pois chiches, lentilles…) de manière à les régénérer. C’est ainsi que Franprix produit sa baguette bio dont le blé est issu à 10 % depuis l’Ile-de-France. La Filière CRC® (Culture Raisonnée Contrôlée) et représentée par son directeur Général, Marc Bonnet, a d’ailleurs rappelé, que pour garantir un produit le plus sain possible aux consommateurs et au réseau de retiré tous les pesticides de conservation de ses farines afin de conserver la biodiversité des sols. De plus, afin d’aider les professionnels à communiquer avec leurs clients, des QR codes sont présents sur les paquets de farine de manière à valoriser la provenance des produits et leurs territoires d’origines. Claire Madoré, directrice marketing et e-business des Grands Moulins de Paris qui fête son centenaire a d’ailleurs souligné qu’en cette période de défiance des consommateurs, l’approvisionnement local était un argument de poids. Le meunier véhicule par la Seine une farine produite en Ile de France… En préambule de cette table ronde, Michaël Ballay, manager associé chez Food Service Vision, rappelait d’ailleurs les attentes des boulangers quant à la filière : « La provenance de la farine en local est plus importante que le bio pour les artisans, même s’ils sont 63 % à demander à leur meunier une farine issue de l’agriculture biologique afin de diversifier leur offre. ». Le débat reste ouvert !

La 3e Convention Internationale de la Boulangerie Moderne est organisée en partenariat avec Délifrance, Bridor, Lesaffre, Europain, Lattiz, Crisalid, Pepsico, Sirha et Metro France et le soutien de Aemic, CEPB, la FEB, AIBI, l’AMF, France Snacking, le Syndicat de la Panification Croustillante et Moelleuse, l’AIPF et l’EKIP que nous remercions chaleureusement ainsi que tous les experts et les intervenants qui ont contribué au succès de cette troisième édition. Un grand merci également à l’association Elles sont Food, La communauté des femmes de la food.