Alexandre Viron et Bernard Ronot créent une plateforme conservatoire de blés anciens

Le début de leur rencontre ne fut pas si évidente à en croire le minotier Alexandre Viron. Quand il croise la première fois Bernard Ronot, agriculteur bourguignon, ce dernier est méfiant. Mais à force de dialogue, de persuasion, mais aussi de passion pour le bon et le goût, ils ont décidé de faire cause commune et de créer une plateforme conservatoire de 120 variétés de blés et de seigles anciens, certains oubliés. Interview croisée.

Honoré le Mag : Comment l’aventure de votre projet de plateforme conservatoire de blés anciens a-telle commencée ?
Alexandre Viron : Je me suis posé des questions, il y a déjà longtemps. Mais, tout s’est accéléré en 2016 par ma rencontre avec Bernard Ronot, président et fondateur de l’association
Graines de Noé. C’est un homme hors du commun ! Avec des mots simples, il m’a interpellé sur les dysfonctionnements de l’agriculture moderne, sur des comportements alimentaires inappropriés, sur des pratiques qui ne peuvent que devenir obsolètes. Une prise de conscience en quelque sorte. Depuis des années, l’agriculture industrielle imposait une sélection variétale qui reste surtout axée sur le rendement, la résistance aux maladies… Un élément essentiel a été oublié : le goût !

HLM : Comment avez-vous accueilli votre rencontre avec Alexandre Viron ?
Bernard Ronot : Il y a encore quelques années, si vous m’aviez dit qu’un meunier tel que Viron s’engagerait dans la valorisation de blés anciens, je vous aurait pris pour un fou ! Maintenant, je pense que c’est un bel exemple pour démontrer que l’agriculture doit changer de modèle. Vous savez, les céréales de cette plateforme, ils viennent de la terre. La
main de l’homme n’y est pour rien. Nous avons perdu le lien à la terre, nous avons perdu la connaissance. Moi, j’ai fait ma reconversion à l’agriculture biologique à l’âge de 55 ans. J’en ai 86 ! J’ai décidé de m’engager dans les forces vives de la semence. Parce que la semence c’est la transmission de la vie.

HLM : Comment appliquer cette prise de conscience au niveau de la filière blé-farine-pain ?
Alexandre Viron : Avec l’inauguration de notre plateforme de variétés anciennes (Engrain, Amidonnier, Epeautre, Poulard, etc.), Bernard et son association, nous lançons une
initiative qui s’inscrit dans le temps. Notre ambition est de jouer le rôle de passeurs entre le champ et le fournil, les sélectionneurs et les assembleurs pour comprendre et apprendre, nous fédérer, redonner de la valeur et du sens à notre alimentation. Dans cette quête, la plateforme de Brou, en pleine Beauce, va nous inciter à analyser et à expliquer l’intérêt des anciennes variétés. C’est une première pierre dans le jardin de la connaissance. Nous allons découvrir les qualités gustatives uniques de ces blés d’antan par l’éveil de nos sens.

HLM : Quelles sont les valeurs que vous partagez ?
Bernard Ronot : Nous voulons réouvrir le dialogue entre agriculteurs, meuniers, boulangers et consommateurs, démontrer qu’une transition vers une agriculture fonctionnant en intelligence avec la nature est possible et vitale !
Alexandre Viron : Promouvoir un dialogue entre les acteurs de la filière blé-farine-pain est en effet l’une de nos valeurs communes. Mais nous devons aller plus loin. Il nous faut
contribuer à protéger une biodiversité riche dans le respect des impératifs éco biologiques et de conservation des variétés anciennes et paysannes. Nous devons pouvoir observer les variétés qui s’adaptent le mieux au terroir et surtout étudier les qualités panifiables, nutritionnelles et organoleptiques de ces futures farines. Il faut mener une action pédagogique de sensibilisation des professionnels mais également du grand public à la diversité, à la qualité et aux saveurs des variétés de céréales et de pains.

HLM : Comment va se concrétiser ce projet sur le terrain ?
Alexandre Viron : Les 120 variétés de notre plateforme initiée avec l’association Moisson d’Avenir, vont nous apporter des réponses à de nombreuses questions. L’innovation est parfois un simple retour aux sources. Déjà, nous avons confectionné un pain, nommé Agreste, avec des farines d’Engrain et de Froment biologiques cultivés en Côted’Or, que nous proposons déjà à nos boulangers. Ce n’est qu’un début.

Laurent Estèbe

Retrouvez l’interview d’Alexandre Viron et Bernard Ronot dans le tout dernier Honoré Le Mag n°27 qui vient de paraître. Mais aussi le 27 novembre, à la CIBM