#CIBM2022. Face à l’inflation, la boulangerie cherche des leviers d’optimisation

Le secteur de la boulangerie, qui se remet à peine de l’impact de la crise sanitaire, doit affronter une flambée généralisée de ses coûts. Focus sur sa gestion et sa projection vers le futur.

Le secteur de la boulangerie, et sa filière, se trouve plongé dans un cycle inédit de difficultés. Déjà ébranlé par la crise du Covid, il doit désormais faire face à une hausse généralisée des coûts de production. Beaucoup d’entreprises ont « peur d’y rester ». Toute crise impose des remises en question. Au-delà du constat, la 5e édition de la Convention internationale de la boulangerie moderne (CIBM), qui s’est tenue le 23 novembre à Paris, a souhaité se projeter sur l’Après.

Une activité en rémission après la crise du Covid

Le confinement a bouleversé les habitudes de consommation et affecté les segments de marché de manière inégale. Le frais a reculé au profit du préemballé et des produits surgelés, rapporte Anne Frémaux directrice Bakery du Gira. Reparties, les ventes de pain frais n’avaient pas encore égalé, en 2021, leurs niveaux de 2019. Mais elles devraient les dépasser en 2026. Le préemballé reflue mais reste plus consommé qu’avant la crise, en raison notamment des innovations. Celles-ci concernent à 95 % des produits avec des claims liés à l’environnement (local, bio,…), souligne Nicolas Nouchi de CHD Expert – Datassential. Le nombre de points de ventes s’est contracté de 5 % entre 2019 et 2021. En 2021, à 11,1 M€, le CA global avait repris des couleurs (-16 % après le Covid), mais restait inférieur de 4 % à son niveau de 2019. La France totaliserait ainsi actuellement 27 700 boulangeries sur le territoire. « Les établissements sont moins nombreux mais plus gros », avec un CA moyen de 449 000 € en mai 2022. « En moyenne par mois en France, les achats en boulangerie sont de 70 % en bakery et 30 % en snacking », précise Michael Ballay, directeur associé de Food Service Vision. L’activité boulangère n’a pas eu le temps de se remettre de l’impact de la crise sanitaire, que les professionnels se retrouvent face à « un tsunami des prix ».

Faire face à une flambée générale et inédite des coûts

Le conflit russo-ukrainien a provoqué une flambée des tarifs de l’énergie et de certaines matières premières. Le prix du blé, « est historiquement élevé et, selon Marc Zribi de FranceAgriMer, va le rester ».  Pour différentes raisons les prix de farine, beurre, œufs, sucre, huile de tournesol, levure mais aussi main d’œuvre et emballages ont bondi. Hors de question cependant pour les boulangers de faire des concessions sur la qualité. Surtout avec la hausse des prix en boutique due à la répercussion d’une partie des surcoûts. « Une question de survie », regrette Dominique Anract, président de la CNBPF. Les clients se montrent compréhensifs mais leur tolérance aura des limites et les produits doivent demeurer accessibles. En France, en septembre, le prix de la baguette avait augmenté de 5 % sur un an. C’est bien moins que dans d’autres pays européens, avec + 30 % en Pologne et + 65,5 % en Hongrie ! Une situation sensible dans des régions où le pain revêt encore « une forte sensibilité politique », jouant sur l’appréciation populaire, a relevé Etienne Maillard du groupe Lesaffre.

Face à ces tensions, « nous avons négocié avec les organismes financiers une augmentation du BFR, explique Karine Forest de la minoterie éponyme et présidente du CEBP. Nous avons aussi revu notre organisation », avec, par exemple, le passage aux big-bags plutôt qu’aux sacs de 25 kg pour certaines graines ou la réduction du nombre de couleurs de la sacherie. A tous les niveaux de la chaîne, et pour tous les profils d’entreprises, rationalisation et révisions des recettes sont de mise. Bridor a aussi développé une gamme complémentaire de viennoiseries au beurre fin moins chères, indique sa directrice marketing, Blandine Daugenet. « La margarine peut également apporter des solutions, végétales, pour développer de nouveaux produits », a expliqué, de son côté, Ophélie Caron, directrice marketing Vandemoortele.

La chasse aux économies d’énergie, accompagnée par les fédérations professionnelles, est dès lors engagée. Cela passe par une utilisation des fours ajustée ou encore la suspension des séries qui ne sont plus rentables, illustre Paul Boivin, délégué général de la Fédération des entreprises de boulangerie. L’offre de formation est aussi renforcée, notamment en marketing « d’autant plus important que le contexte est difficile », commente Karine Forest.

Un autre challenge de la profession réside dans le recrutement. S’il est assez facile d’attirer de jeunes pâtissiers, grâce aux émissions de TV, il est plus que jamais nécessaire de promouvoir le métier de boulanger. « Il faut montrer qu’ils peuvent aussi occuper des postes de boulanger d’essai, travailler en GMS ou dans des palaces… », défend Eugène Abraham des Compagnons du Devoir. La fidélisation est aussi compliquée. « Nous ne travaillons pas le week-end et créons une sorte de CE pour proposer des avantages à nos salariés », témoigne Audrey De Saintjean, gérante de la boulangerie-pâtisserie brasserie l’Optimiste maison de Saintjean. Du côté des écoles, un mix digital-présentiel semble une solution plus appropriée que le 100 % en ligne. Il important que les formateurs conservent un contact régulier avec le monde l’entreprise. 

De nouveaux modèles de boulangerie

Face à de tels enjeux, la boulangerie de demain sera forcément durable, estime Nabil Sbaï, de la Case à pain. Il explique comment son retour aux œufs coquilles, fournis par un producteur local, pour remplacer les ovoproduits en bidon lui évite de cumuler les surcoûts et le plastique. Une des initiatives de sa démarche RSE. D’autres boulangeries, pour éviter le gaspillage, ne produisent que de gros pains de garde et des brioches, sans tradition, comme le fait Agathe Simonnot, de la boulangerie Antoinette Pain & Brioche. La Maison Landemaine, sensible au recyclage, a « développé l’écopain qui permet de revaloriser les invendus en chapelure ». Vingt pièces, intégrant 30 % de chapelure, soit 4 kg, sont ainsi vendues chaque jour, s’enthousiasme son chef boulanger, Michael Marchand. Maxime de Bussy, fondateur de la boulangerie le Bricheton développe pour sa part, avec Agrof’île, une filière de « blés anciens » d’Île-de-France. Gilbert Barnachon fait, lui, partie du collectif d’agriculteurs Les Robins des champs qui commercialisent leurs céréales en direct auprès des meuniers, pour « sortir des marchés financiers avec des prix plus stables ». Ils privilégient aussi des méthodes de cultures durables. La mise en avant d’une dynamique locale séduit le consommateur. Et pourquoi ne pas mettre en avant l’eau utilisée au pétrin ? De différentes qualités selon où l’on se situe, elle a un effet sur la pâte et le pain, assure Frédéric Lalos. Le Mof boulanger mène une étude sur le sujet avec Brita. Et Adrien Poncet, directeur commercial Filtres professionnels, de souligner qu’une eau calcaire va aussi entartrer le matériel… donc provoquer une surconsommation. « Nous devons rester attentifs aux tendances des consommateurs tout en suivant les problématiques rencontrées par les boulangers, commente Sonia Le Rest, directrice marketing Vandemoortele Bakery. C’est avec cette logique que nous développons des produits Premium » qui répondent au souhait des clients de toujours plus de qualité, mais aussi à la pénurie de touriers du côté des artisans

Dans le futur, la boulangerie sera un lieu de consommation de tous les instants et de tous les besoins. Un espace hybride et plus spacieux. En Europe, « plus de 850 chaînes de bakery coffee shops sont présentes, avec près de 60 000 magasins (pour un CA supérieur à 20 Md HT) », explique Anne Fremaux. En Turquie aussi la tendance séduit présente Denisz Doganoglu, fondateur de Alsancak Unlu Mamuller, qui produit à l’échelle semi-industrielle, exporte et a développé des restaurants proposant ses gammes de snacking et de pains. Des créations d’inspiration traditionnelle et internationale. En France, le KB de Laurent Maeseele associe aux services classiques, de la restauration et de l’épicerie. Nabil Sbaï a, lui, développé le concept La Fabrique aux côtés de son laboratoire de 1 000 m². Exit le comptoir traditionnel, place à différents ilots où les clients sont accompagnés et conseillés par les vendeuses. Une hybridation dont se saisissent aussi la grande distribution et les acteurs de la livraison alimentaire. Les frontières entre les différents types d’acteurs vont disparaitre, anticipe Céline Laisnay d’AlimAvenir qui a proposé une projection du Foodservice à l’horizon 2035.

Lucile Legaignoux et Marianne Roumégoux